Rue Cases-Nègres

Banzo-mémoires-de-la-favela

« Deux idées, deux réalités – images superposées – blessaient sa poitrine. La rue Cases-Nègres et la favela. À cette époque, elle venait de rentrer au collège. Elle avait lu et appris ce qu’était la maison de maître. Elle avait eu envie d’en parler à sa maîtresse. Elle voulait citer comme exemple de maison de maître le quartier chic voisin, et comme exemple de rue Cases-Nègres la favela où elle habitait. Au moment d’ouvrir la bouche, elle regarda sa classe et la maîtresse. Elle chercha dans le groupe un soutien, ne vit qu’une élève Noire. Elle la regarda – mais l’autre écoutait le cours d’une oreille distraite, comme si le thème de l’esclavage n’avait rien à voir avec elle. Elle se sentit mal à l’aise. Dans une classe de quarante-cinq élèves, deux Noires – et si distantes l’une de l’autre ! Elle garda la bouche fermée et ses pensées pour elle.
Favela Cases-Nègres, favela Cases-Nègres ! »

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« Petite, le monde, la vie, tout est là ! Notre peuple n’a quasiment rien obtenu. Tous ceux qui meurent sans se réaliser, tous les Noirs esclaves d’autrefois, tous les Noirs supposément libres d’aujourd’hui, se libèrent dans la vie de chacun d’entre nous qui réussissons à vivre, qui réussissons à nous réaliser. Ta vie, négrillonne, ne peut pas être qu’à toi. Beaucoup se réaliseront par ton intermédiaire. Leurs gémissements sont là. Il faut savoir ouvrir ses oreilles, ses yeux et son cœur. »

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 Il est des livres qui justifient à eux-seuls l’existence d’une maison d’édition. J’ai été incroyablement chanceux, j’en ai lu trois en quinze jours, provenant de différentes maisons. Les deux premiers, j’en parlerai en d’autres lieux avec, je l’espère, la chaleur et la passion nécessaire pour leur rendre justice. Le troisième, c’est Banzo, mémoires de la favela, de Conceição Evaristo (traduit par Paula Anacaona et publié aux éditions du même nom avec des illustrations de l’artiste Lucia Hiratsuka) dont vous avez pu trouver deux courts extraits ci-dessus et un autre dans le billet précédent. Et c’est un très très grand livre: le genre de livre évident qui, alors qu’on le referme, provoque chez le lecteur une sensation de vide et de plein simultanée, un texte qui dit des choses sur un lieu et une période généralement ignorés, mais qui parle immédiatement. Un livre très bien écrit aussi, qu’on prendra plaisir à lire pour l’histoire; un livre tendre et généreux autant que tragique. Allez donc y jeter un œil par ici, sur le site de l’éditeur!

 

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