Une histoire de Maïakovski au Mexique

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« Dernière histoire sur le Mexique.

Le frère me raconte la vie de son frère, le vendeur de meubles, le premier à être devenu américain. Le fameux frère, donc, habitait à Kichinev. À quatorze ans, il entendit dire que les plus belles femmes vivaient en Espagne. Il décida de partir le soir même, parce que lui, ce qui l’intéressait, c’était les belles femmes. Mais il n’arriva à Madrid qu’à l’âge de dix-sept ans et il se rendit compte qu’il n’y avait là pas plus de belles femmes que partout ailleurs, et qu’en plus, elles faisaient moins attention à lui que les laborantines de Kichinev. Le frère, vexé, arriva à la conclusion objective que seul l’argent braquerait les beaux yeux espagnols vers lui. Alors il décida de partir pour l’Amérique avec deux autres vagabonds – mais avec une seule paire de souliers pour trois. Ils prirent un bateau – pas celui qu’il fallait prendre, mais celui qu’ils réussirent à prendre – qui les mena contre toute attente non pas en Amérique, mais en Angleterre. Et le frère s’installa par erreur à Londres. Le trio de va-nu-pieds aux ventres vides y ramassa des mégots et confectionna des cigarettes neuves avec le tabac qu’il récupérait ; à tour de rôle, chacun chaussait les souliers pour aller vendre les cigarettes sur les quais. Au bout de quelques mois, ce commerce de tabac s’agrandit au delà des mégots, l’horizon des trois hommes s’élargit jusqu’à comprendre où se trouvait l’Amérique, et la réussite permit à chacun d’avoir sa paire de souliers et d’acheter un billet de troisième classe pour un certain pays appelé Brésil. Pendant le voyage en bateau, le frère gagna une belle somme d’argent aux cartes. Au Brésil, il transforma cette somme en milliers de dollars grâce au commerce et au jeu.
Le frère réunit alors tout ce qu’il possédait et alla aux courses miser son argent au pari mutuel sur une jument insouciante qui traîna la patte sans aucune considération pour lui – que trente-sept secondes rendirent pauvre. Un an plus tard, il passa en Argentine et s’acheta un vélo, ayant conçu le plus grand dédain à l’égard des créatures vivantes.
Devenu un as de la pédale, l’infatigable habitant de Kichinev s’inscrivit à une course cycliste. Pour être le premier, il fit une petite embardée sur le trottoir et gagna la minute nécessaire, mais renversa malencontreusement dans le caniveau une vieille dame en train de bâiller. Résultat des courses : il dut verser l’intégralité de son premier gros lot à la grand-mère fripée.

Affligé, il partit pour le Mexique et découvrit la loi simple du commerce dans les colonies. Trois cents pour cent de majoration : cent pour la  crédulité, cent pour les frais et cent volés dans les intérêts de crédit.

Avec l’argent qu’il avait à nouveau mis de côté, il prit la tangente vers l’Amérique, qui aime à encourager toute forme de profit.

Là, le frère ne s’embourba dans aucune affaire. Il acheta une savonnerie six mille dollars et la revendit neuf mille. Il acquit un magasin, puis s’en sépara un mois avant la faillite, qu’il avait vu venir. Aujourd’hui, il est respecté : il préside une dizaine de sociétés de  bienfaisance et quand la Pavlova est venue, il a dépensé trois cents dollars rien que pour un dîner.
– Le voilà ! »

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Une réflexion sur “Une histoire de Maïakovski au Mexique

  1. Texte: un extrait de « Ma découverte de l’Amérique » de Vladimir Maïakovski, un texte racontant les errances américaines du poète, qui paraissent dans une traduction française de Laurence Foulon aux éditions du Sonneur (https://www.editionsdusonneur.com/livre/decouverte-lamerique-vladimir-maiakovski/) dans les jours qui viennent.
    Photo: portrait de Maïakovski. Je n’ai ni l’auteur ni le contexte, avis au lecteur qui en saurait plus, qu’il se manifeste!

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