Marine

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 » Il pensait tout haut. Pour lui, les morts ne l’étaient pas tout à fait. Il y avait dans l’enclos, au-dessus duquel tournoyaient des nuées de mouettes, de nombreux marins qui nous escortaient. Ils entendaient nos pas crisser sur les graviers. Aux disparus du dessous se joignaient les défunts pailletés de mystère, ces hommes qui ne gisaient pas dans les tombes. Leurs noms figuraient sur la pierre mais leurs corps, ensevelis sous les vagues, dérivaient pour l’instant dans d’invisibles bas-fonds.
« Eux, ils sont là et pas là », avançait-il en aspirant une longue bouffée. Il levait les yeux vers le ciel laiteux, juste derrière le clocher, en ajoutant qu’il n’était sûr de rien.
Je crois qu’il n’était pas loin de penser, porté par son esprit baladeur, que ces marins perdus s’assemblaient pour former des flottilles en mers lointaines. Il les voyait peut-être naviguer logés dans des cercueils à une place qui ressemblaient à de petites barques conçues pour effectuer de longs voyages, sans retour possible. Pour lui, les péris croisaient au large, dérivant à leur guise, revisitant des lieux qui leur étaient chers tandis que nous étions, nous les rêveurs de tombes, les heureux détenteurs des liens qui leur permettaient d’être simultanément présents en divers points du globe. »

*

Le dernier livre de Jacques Josse (Débarqué, publié aux éditions La Contre-Allée) convoque la figure de son père, décédé en 2008. Plus qu’un récit des liens de filiation, il s’agit du portrait d’un homme malade, que la maladie empêchera d’accomplir ses aspiration maritimes. Très empreint par la mort (celle des proches, des voisins, mais aussi des enfants, auxquels le père, pourtant gravement malade survit), le texte transporte par la puissance des images que Josse y développe. Des atmosphères propres à l’auteur, qui donnent à ressentir sa Bretagne, mais, encore plus beau, la restitution de l’imaginaire du père, à qui la frustration donne des ailes. Comme cette flottille de marins morts. Un texte magnifique, qui préfère recourir à la poésie plutôt qu’à la psychanalyse pour restituer le père. Une belle matière sensible.

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